11/04/2014

Philip Lamantia a vu le monde entier dans un grain de sable


« Un Italien de la Renaissance, à l’allure patricienne et loin du siècle. » C’est en ces termes que Jack Kerouac dépeint le poète Philip Lamantia, au cœur de San Francisco, sous les traits de Francis Da Pavia, dans son roman Les Clochards célestes. A la même époque, dans une lettre à Allen Ginsberg, il raconte une visite qu’il fit, en compagnie de son pote de vagabondage Neal Cassady, dans un ancien petit château qui surplombe Berkeley. Lamantia était allongé sur un somptueux canapé et lisait Le Livre des morts égyptiens. Kerouac dit de lui-même et de son compagnon Neal : nous étions « comme deux paysans des montagnes accueillis par les nobles du coin dans le château pour bavarder avec eux toute la nuit ». 

C’est peu dire qu’à San Francisco Philip Lamantia a exercé une véritable fascination sur les poètes new yorkais de la Beat Generation. En 1955, très cool et dans le coup, Lamantia avait déjà, à 28 ans, une grande expérience de l’écriture. Né en 1927 de parents italiens émigrés de Sicile, il avait eu, à 15 ans, la révélation du surréalisme en découvrant l’œuvre de Joan Miro au Musée d’art de San Francisco. C’était cela qu’il voulait faire en poésie… 

D’une précocité prodigieuse, il se lance dans l’exploration de l’inconscient et commence à écrire une poésie tournée vers l’inconnu, le rêve et le merveilleux. André Breton, qui était réfugié à New York, ne s’y trompe pas et salue en lui « une voix comme il s’en élève une fois par siècle ». En dépit de son très jeune âge, en 1943, Philip Lamantia quitte tout et s’embarque pour New York, où il va côtoyer les surréalistes en exil et publier ses poèmes dans la revue VVV que dirige Breton. 

Après la guerre, il retourne à San Francisco et se lie avec Kenneth Rexroth et à son cercle anarchiste libertaire. Passionné par la magie, l’ésotérisme et l’expérience hallucinogène, il s’initie dans les années 50 aux rites indiens, expérimente le peyotl avec les Indiens Washo du Nevada et voyage au Mexique, au Maroc et en Europe. 

Lamantia a fait le lien entre le surréalisme français et la contre-culture américaine, bien qu’il ait toujours refusé qu’on le classe comme un poète Beat. Il a eu une énorme influence sur Allen Ginsberg qui, avant de le rencontrer à San Francisco, écrivait encore de la poésie assez conventionnelle. 

Ce chercheur passionné s’est éteint en mars 2005 dans son appartement de North Beach qu’il ne quittait plus guère. Il avait 77 ans. « Philip était un visionnaire comme Blake, il a vraiment vu le monde entier dans un grain de sable », note avec justesse Lawrence Ferlinghetti, le fondateur des éditions City Lights Books, qui a publié quatre de ses livres de poèmes. Le manuscrit de Tau, qui date des années 50, a été découvert après sa mort et publié par Nancy Peters en 2008.  


B.S.



Coup de feu sur le soleil

Les becs des sphères célestes se balancent sur la scène capricieuse.
Des chrysanthèmes pulvérisent les lions de marbre
Le champ de soucis se déverse
Dans les hiéroglyphes solaires. 

On a trouvé l’Oiseau,
RA 

Dans une perle du désert
Vibrant – silencieux – lumière violette
Tanguant dans une mer fébrile
Ecorce coupée sur la montagne Cri :
Vincent a trouvé l’Oiseau. 

Ranime la voix de RA,
Provoque des cris de guerre dans le vent où la Rose demeure
Antonin a épié l’Oiseau
En morceaux sur le bec d’une corneille.
Ne cherchez plus l’Oiseau. 

Pour gravir les Cités du Soleil
Le poète au poisson échoué
Empale les monolithes immergés,
Nous avons entendu la voix déchirée
Dans les couloirs de l’effroi et du désordre, 

Des doigts capricieux protègent le masque du temps
Où un mur arrive enfin à renaître : 

Le voici, l’Oiseau Trouvé, voici RA.


***


Croûte terrestre   degré          garde          le creuset
L’air cuit
A travers l’espace : materia Immateria
X
la Pierre
et la Terre de part en part, 

Feu
Crépitements en dessus et en dessous :
Eau montante
les étoiles éclipsent la marée des mots. 

Cet Œil (qui
me sonde) Surgi de l’obscurité
Resté fidèle aux Enfers,
Illumine
De tout son éclat
Ô temps pur fluide 

Soleil
Char !
Chevauchant les espaces
Est vu
pour voir
Emanations
Des esprits radieux.



***



18 êtres humains et l’Autre
s’unissent pour construire une maison à Dieu
et la lumière qui ne se divise pas
pulvérise les messagers de l’enfer
qui hurlent des conneries à la face du jour.

Dans l’homme existe secrètement l’Un
qui ordonnera à l’eau
de tout recouvrir
et ordonnera au grand Vent
de dompter l’eau
et lui, qui est l’Un, est empli d’une lumière qui jaillit hors de lui

(Traduit de l’américain par Bruno Sourdin)

Philip Lamantia : Tau, City Lights Books, number 59 



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